Réévaluation globale des anticipations concernant la politique monétaire

Les marchés ont souffert durant le dernier mois de l'année. La correction a concerné la plupart des principaux marchés obligataires, tandis que le 10 ans américain gagnait 40 pb. Dans le même temps, les actifs risqués ont aussi été malmenés. L’imposant rally du S&P 500 en 2024 s'est essoufflé en fin d’année, et les spreads du haut rendement américain se sont élargis. En revanche, les spreads du segment investment grade américain sont restés stables et les primes de risque des obligations européennes investment grade ou high yield et de la dette émergente ont diminué.

Cette évolution du positionnement vis-à-vis des taux sans risque a été motivée par une réévaluation globale des anticipations concernant la politique monétaire. De fait, la hausse des rendements a reposé sur la progression des rendements réels – la performance des Titres du trésor indexés sur l'inflation. Cela s’explique par l’anticipation d’une Fed plus agressive à l’avenir.

Néanmoins, 2024 est aussi un rappel important que nous sommes sortis de l'environnement des taux d'intérêt ultra-bas. Les rendements moyens sur l'ensemble de la courbe des bons du Trésor américain ont terminé l'année quelque 20 points de base au-dessus des niveaux qu'ils atteignaient douze mois auparavant[1], mais ont tout de même offert aux investisseurs un rendement global positif. À ces niveaux, le portage des coupons permet d’amortir significativement la volatilité des taux, en particulier dans les segments à haut rendement.

Les valorisations des bons du Trésor s’améliorent, mais le niveau d’incertitude incite à la prudence

Après la correction de décembre, qui s'est poursuivie en janvier, notre cadre d’analyse considère désormais que les valorisations sont attrayantes. Mais les perspectives de croissance, d'inflation et de politique monétaire ne peuvent justifier un avis positif à l'heure actuelle. Nos modèles indiquent une probabilité de reflation de 80 %, de sorte que la désinflation n'est plus le scénario le plus vraisemblable. L'inflation « super core » ne baisse guère ces derniers temps, et nous sommes désormais confrontés à une situation impliquant un « scénario de base » de reflation modeste et un « scénario de risque » de forte hausse de l'inflation, en fonction des politiques que Donald Trump mettra effectivement en œuvre.

La croissance demeure robuste et le marché de l’emploi semble s'être stabilisé après un léger ralentissement. La consommation reste vigoureuse, malgré une hausse indéniable du taux d’épargne des ménages. Seule une augmentation des arriérés de paiement sur les cartes de crédit pourrait constituer un signal d'alerte précoce.

Les marchés tablent sur une baisse des taux de la Fed d'ici la fin de l'année, et pourraient même envisager un scénario d’absence de baisse des taux.

Si la déroute de décembre reposait sur la perception d'une Fed plus agressive, le repli de janvier s’explique par l'augmentation de la différence entre les bons du Trésor indexés sur l'inflation et les bons du Trésor nominaux. Autrement dit, les investisseurs s’inquiètent de plus en plus de l’impact inflationniste directement associé aux politiques de Donald Trump.

Gilts et livre sterling : nous ne sommes pas dans une situation Truss 2.0, mais la confiance du marché est ébranlée

La hausse des rendements des Gilts a fait les gros titres de la presse, ce qui a conduit certains observateurs – pas forcément de bonne foi – à se demander si le Royaume-Uni ne traversait pas un « nouvel épisode Truss ». La différence est toutefois assez claire : les rendements des obligations d'État britanniques ont augmenté dans les mêmes proportions que leurs homologues allemandes au cours du mois dernier et sont entraînés par les mouvements des taux mondiaux plutôt que par un événement propre au Royaume-Uni. Toutefois, compte tenu de la marge de manœuvre limitée dont dispose le gouvernement britannique par rapport à ses propres règles budgétaires et de l'importance du déficit de la balance courante, le marché des Gilt étant exposé à la « bonté des étrangers », il est justifié de s'intéresser à l'effet de contagion.

Ainsi, en ce qui concerne les taux britanniques, nous revenons à une position neutre, tout en initiant une position courte sur la livre sterling. Fondamentalement, nous continuons à penser que les attentes du marché pour le taux final (à plus de 4 %) sont trop élevées par rapport aux autres marchés du G10, mais nous reconnaissons que le marché ne s'est pas rallié à ce point de vue. Au contraire, les préoccupations budgétaires semblent être au centre des préoccupations des investisseurs, notamment des investisseurs étrangers, qui couvrent environ 30 % des besoins de financement du Royaume-Uni.

La livre sterling a été soutenue par les différentiels de taux jusqu'à présent, mais compte tenu des préoccupations budgétaires et de notre conviction quant à la baisse des taux finaux, nous pensons qu'il existe de nombreux scénarios susceptibles d'entraîner une sous-performance de la devise. C'est pourquoi nous adoptons une position courte.

Taux en euros : nous restons positifs malgré certains risques pour l'inflation globale

La zone euro est confrontée à une croissance très faible et les motifs d’espoir sont rares. La BCE a légèrement abaissé ses prévisions de croissance et d'inflation pour 2025 et 2026. En ce qui concerne le cycle d'inflation, les prix de l'énergie et la faiblesse de l'euro par rapport au dollar font peser des risques sur l'inflation globale, mais l'inflation sous-jacente, certes nettement supérieure à l'objectif, ne dépasse guère 2,7 % et pourrait encore diminuer dans les mois à venir. La tendance à la désinflation est donc plus fermement en place dans la zone euro qu'aux États-Unis, notamment grâce à des négociations salariales visant essentiellement le long terme. Nous continuons d’anticiper une approche graduelle de la Banque centrale et la réunion de mars – après les premiers pas de l'administration américaine et le résultat des élections allemandes – sera déterminante.

Outre le risque « bêta » d'une éventuelle volatilité à la hausse des taux, nous considérons la dynamique de l'offre et de la demande comme un facteur de risque pour la dette souveraine en euros, alors que les besoins de financement des États se traduiront par des appels au marché massifs. Cependant, nous observons également les indicateurs précoces d'un fort appétit pour ce type d’émissions, les récentes adjudications de l'Italie et de la Belgique ayant été très bien absorbées.

Au niveau des pays, nous avons réduit la sous-pondération de la France : alors que le spread avec le Bund a dépassé 80 points de base et que le gouvernement semble relativement stable à court terme, le risque d'un nouvel élargissement de ce spread est plus limité. Mais la stabilité politique pourrait bien avoir pour contrepartie une nouvelle dégradation de la situation budgétaire, de sorte que la situation nécessite une attention particulière. Nous restons positifs vis-à-vis de l'Espagne, qui offre des rendements élevés (même s'ils sont inférieurs à ceux de la France !) et qui est la seule grande économie de la zone euro à afficher une croissance solide.

Parmi les marchés européens hors zone euro, la Norvège et la Tchéquie offrent une valeur attrayante

La banque centrale norvégienne est en retard sur ses homologues, alors que la BCE maintient le cap de la baisse des taux et que la Riksbank suédoise approche de la fin de son cycle d’assouplissement. La Norvège est plus proche du début du processus, la crainte d'alimenter la faiblesse de la couronne ayant jusqu’à présent freiné la banque centrale. Or, la récente stabilisation de la devise permet d’envisager une politique monétaire plus accommodante. Le marché table sur un taux final de 3,75 %, ce qui est probablement excessif, sachant que la situation budgétaire de la Norvège n’est en rien préoccupante (contrairement à celle du Royaume-Uni).

En Tchéquie comme en Norvège, les anticipations de baisses de taux sont probablement trop timides, dans une économie étroitement liée à l'Allemagne et donc susceptible de continuer à souffrir de la faible croissance de l’économie allemande. En outre, la situation budgétaire n’a rien d’alarmant.

La dette émergente souffre du resserrement des spreads et de la hausse des rendements américains

Le mois dernier, nous avons abaissé nos perspectives sur la dette émergente en devise forte en raison du resserrement des spreads et de la hausse des rendements souverains américains. Cependant, les spreads ont continué à se resserrer au-delà de nos anticipations. On observe la même tendance parmi les obligations d’entreprise des marchés émergents, où les spreads se sont resserrés sur les segments investment grade et high yield. La raison principale du maintien d'une position négative sur la dette émergente est le resserrement des spreads. Les spreads souverains, à l'exclusion du marché noté CCC, se situent à environ deux écarts-types en dessous des moyennes historiques. Cela les place en territoire « riche » par rapport au crédit américain, qui se situe également à des niveaux historiquement étroits, ce qui rend l'opportunité d'achat moins convaincante.

En ce qui concerne les obligations d'entreprise, le resserrement continu des spreads a rendu chères les obligations investment grade et high yield, désormais proches des niveaux du crédit américain.

Dans le segment des taux locaux, les écarts par rapport aux bons du Trésor américain ont continué à se réduire, tandis que les devises ont sous-performé par rapport au dollar américain. Les rendements chinois n'ont cessé d'évoluer à la baisse, ce qui pèse sur les perspectives générales. Nous sommes neutres, compte tenu de la force actuelle du dollar américain et de l'écart de rendement étroit avec les bons du Trésor américain.

Bien que nous ayons une position neutre sur les rendements américains, la hausse des rendements du Trésor américain et du dollar américain crée généralement un environnement dans lequel les pays émergents sont en difficulté. En outre, les flux vers les marchés émergents ont déjoué les attentes et se sont finalement avérés légèrement négatifs. Cela contraste avec le crédit d'entreprise des marchés développés, qui a bénéficié d’entrées de fonds plus stables.

Chine et Japon : est-ce vraiment différent cette fois-ci ?

Les rendements des obligations d'État chinoises ont continué à baisser inexorablement, les marchés doutant de l’efficacité des efforts engagés par le gouvernement pour stimuler l'économie. La Banque centrale, qui a suspendu ses achats d'obligations pour stopper la baisse des rendements (qui avaient atteint des niveaux probablement inquiétants pour les autorités monétaires), devrait à l’avenir donner la priorité à la stabilité de la monnaie. À ce stade, la politique monétaire a montré ses limites et la véritable relance économique devra venir d’un effort budgétaire.

Au Japon, les salaires continuent de progresser et l'inflation sous-jacente augmente. La BOJ devrait procéder à de nouvelles hausses de taux, mais le marché hésite et se demande si « c’est vraiment différent cette fois-ci ». Dans un contexte mondial où les autres banques centrales assouplissent leur politique, le périmètre d'action de la BOJ s'est élargi et nous pensons qu'elle pourrait bien se montrer plus agressive.

Le crédit à haut rendement ne cesse d’attirer les investisseurs

En ce qui concerne le crédit Euro investment grade, nous relevons notre note de neutre à +0,5. La dérive des notations reste très solide, les entreprises ont toujours des bilans solides, les banques en particulier. L'offre et la demande devraient également être favorables. Le bêta des gestionnaires de fonds de qualité, c'est-à-dire le niveau de risque qu'ils prennent dans leurs propres fonds, reste faible, ce qui indique un potentiel de flux supplémentaires. Si l'offre a été élevée, l'appétit des investisseurs a été très grand. Les liquidités restées à l'écart vont être utilisées pour investir dans cette classe d'actifs. Tant que la zone euro reste dans un environnement de faible croissance qui exerce une pression à la baisse sur les rendements, mais évite une récession complète, le crédit investment grade devrait rester très bien soutenu.

En revanche, nous abaissons la note des obligations high yield en euros, vis-à-vis desquelles nous étions neutres. L’écart de rendement par rapport au crédit investment grade semble bien trop faible pour accepter un risque nettement plus important. Les fondamentaux sont convenables, mais la rémunération n'est pas suffisante pour compenser la sensibilité supplémentaire de la classe d'actifs à toute actualité négative.

Les spreads de crédit américains semblent avoir atteint un « plancher » qui correspond à un niveau très cher pour le segment. Les fondamentaux demeurent toutefois solides et les perspectives macroéconomiques devraient rester clémentes pour les émetteurs. Nous conservons donc une note neutre sur le crédit investment grade, tout en sous-pondérant le haut rendement, plus vulnérable au risque événementiel et pour lequel la prime de risque supplémentaire par rapport au crédit investment grade est trop faible, ce qui reflète une situation très similaire à celle de la dette d'entreprise en euros.

 

[1] ICE BofA All Maturity US Government Index.

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