Nous nous entretenons avec Dany da Fonseca, CFA, Senior Portfolio Manager, au sujet des obligations d’entreprises investment grade en euros. Il partage son analyse sur le caractère de plus en plus durable de cet univers.
Les "obligations durables d’entreprises investment grade en euros" – tout un programme ! Pouvez-vous nous expliquer de quoi il est question ?
Dany: Avec plaisir. Il s'agit essentiellement d'obligations d'entreprises bien notées (investment grade) libellées en euros. Nous nous intéressons plus particulièrement aux émissions et aux émetteurs que nous considérons comme responsables, sur la base de nos 25 années d'expérience en investissement durable et de l'analyse de notre équipe interne d’analyse ESG.
Pourquoi en euros ? Et pourquoi maintenant ?
On pourrait dire que l'Union européenne est la région la plus avancée en matière de transparence des facteurs extra-financiers et ESG. La réglementation comme les marchés financiers évoluent rapidement dans l'UE, la Commission poursuivant son objectif du « Pacte Vert Européen » à savoir devenir le premier continent climatiquement neutre. Ces nouvelles règles de transparence s'appliquent à la fois aux entreprises et aux gestionnaires d'actifs, ce qui permet aux propriétaires d'actifs et aux investisseurs d’analyser la composition de leur portefeuille en transparence et d’accéder à des données agrégées sur la durabilité des émetteurs dans lesquels ils investissent.
Sur les marchés obligataires en particulier, les banques et les compagnies d'assurance représentent 35 % de l’indice.[1] Au niveau mondial, la BCE a été l'un des régulateurs bancaires les plus actifs pour promouvoir la transparence des bilans bancaires en matière de risque climatique. La réglementation européenne exige que les banques évaluent leur exposition - actuelle ou future - aux risques climatiques matériels, et qu'elles reflètent ces risques dans leurs réserves de fonds propres, avec la création, par exemple, du nouveau Green Asset Ratio (ratio d'actifs verts). Cette année, la BCE a infligé ses toutes premières amendes à l'encontre de plusieurs banques pour leur "incapacité prolongée à faire face à l'impact du changement climatique".[2] Une "réserve de fonds propres climatiques" pourrait-elle voir le jour prochainement ?
Quelle est la place des "obligations vertes" dans l'environnement actuel ?
Les obligations vertes sont probablement les plus connues et les plus facilement identifiables des émissions durables. Les obligations vertes, sociales et durables représentent un segment de 3 000 milliards d'euros, soit environ 16 % de l'univers Euro Investment Grade.[3] Un nouvel ensemble de normes promu par l'UE, s’appuyant sur des lignes directrice volontaires, permettra aux émetteurs respectant une double contrainte (se conformer aux normes et faire auditer leurs rapports par des évaluateurs externes supervisés) de décrire leur obligation comme une obligation verte européenne, ou EuGB (European Green Bond). Il s'agit d'une avancée considérable, encourageante à la fois pour les émetteurs et les investisseurs. Au fur et à mesure que ce marché se développe, nous espérons augmenter notre objectif de détention d'obligations vertes, sociales et durables de 10 % à 20 % dans notre portefeuille responsable.
Les émetteurs d'obligations vertes, sociales et durables prennent un véritable engagement en matière de transparence, de responsabilité et de prise en compte des parties prenantes, ce qui crée des liens forts avec les investisseurs. Parallèlement, de nouveaux types d'obligations présentant des caractéristiques durables ont également vu le jour, comme les obligations liées à la durabilité. Contrairement aux obligations particulières émises pour financer des projets environnementaux et/ou sociaux spécifiques, ces instruments représentent un engagement pris au niveau de l'entreprise. Cela signifie que celle-ci s'engage à atteindre des objectifs ESG au niveau de l'ensemble de ses activités, et pas seulement sur des projets spécifiques. L'émetteur choisit un ou plusieurs objectifs de performance en matière de durabilité et un horizon de temps. Si le ou les objectifs ne sont pas atteints, les investisseurs reçoivent une compensation, généralement sous la forme d’une majoration du taux du coupon jusqu'à l'échéance de l'obligation.
Nous pensons que les obligations liées à la durabilité vont fondamentalement encourager les marchés à intégrer davantage les objectifs ESG dans les valorisations, même s’il est vrai que le marché ne reflète pas actuellement les opportunités offertes par certaines de ces obligations. Dans notre livre blanc, nous abordons certaines de ces inefficiences de marché.
Pourquoi pensez-vous que ces nouveaux types d'instruments améliorent le caractère durable des obligations Euro Investment Grade ?
En tant que gestionnaires de portefeuille, nous accueillons favorablement ces innovations. Non seulement elles signifient une expansion du marché des obligations vertes, sociales et durables, mais ces nouveaux types d'obligations renforcent également l'intérêt et la demande des investisseurs pour davantage de durabilité dans l'ensemble du marché Euro Investment Grade.
Nous pensons également que ces innovations contribuent au cercle vertueux de la transparence. Plus les émetteurs fourniront d'informations sur ces types particuliers d'obligations, plus ils seront en mesure d’évaluer leur impact, et plus les investisseurs bénéficieront d'une transparence accrue sur l'ensemble des émissions et des émetteurs sur les marchés obligataires.
Vous êtes convaincu du fait que les obligations durables offriront une performance au moins équivalente à celle du marché dans son ensemble. Pourquoi ?
Nous pensons que les investisseurs doivent prendre en compte deux éléments. Premièrement, le segment des obligations durables peut-il offrir la même performance que le marché dans son ensemble ; deuxièmement, comment le gestionnaire d'actifs sélectionne-t-il les émissions pour les portefeuilles ?
Les investisseurs paient-ils une prime, ou acceptent-ils un rendement inférieur, pour l’ESG sur les marchés obligataires ? D'une part, nous avons la preuve que sur certains segments ESG du marché tels que les "obligations vertes", les obligations durables ont souvent été actualisées avec un rendement inférieur à celui du marché - même si ce phénomène s’est atténué. D'autre part, en construisant nos portefeuilles ESG nous avons constaté que si nous n'incluons que les émetteurs et les émissions faisant partie de notre univers responsable, tel que déterminé par nos analystes ESG et notre analyse fondamentale, il n'y a presque pas de différences dans les spreads. Le caractère durable d’une obligation est nécessaire, mais pas suffisant. Chaque obligation est analysée individuellement. Une fois que nous avons déterminé la solidité fondamentale d'un émetteur, la valorisation est importante également. Nous ne devons pas surpayer les caractéristiques ESG.
Nous en sommes convaincus : les performances financières et extra-financières seront bientôt au premier plan des portefeuilles Euro Investment Grade.
[1] iBoxx EUR Corporates (Total Return), fréquemment utilisé pour définir le marché des obligations européennes d’entreprises Investment Grade. Données datant de juin 2024. Le chiffre de 35 % s'applique aux banques et aux compagnies d'assurance, à l'exclusion de l'immobilier.
[2] FN 8 du livre blanc
[3] Estimations Candriam, et Bloomberg.