
Le mois d'avril 2025 représente un tournant pour l'économie mondiale. Depuis que l’administration américaine a annoncé une forte hausse des droits de douane – le « Jour de la libération » – les investisseurs sont confrontés aux répercussions d'un retour du protectionnisme. Censés remédier aux déséquilibres commerciaux, ces droits de douane constituent de fait une nouvelle charge fiscale pour les entreprises et les ménages américains. La taxation moyenne des importations américaines atteint désormais près de 20 %, contre 2,5 % fin 2024. Nous estimons qu’il s’agit d’une inflexion majeure, qui impose une réévaluation des risques pour l’ensemble des classes d’actifs, zones géographiques et devises. Nous avons donc décidé de recalibrer notre stratégie multi-actifs. Les États-Unis sont désormais l’épicentre de l'incertitude politique et du risque économique, tandis que l'Europe, soutenue par des mesures budgétaires proactives, apparaît comme un marché relativement protégé. Notre allocation d'actifs reflète cette divergence : positionnement long sur la duration des emprunts d’État européens « core », sous-pondération des actions américaines (dans le cadre d’une sous-pondération globale des actions), prudence à l’égard du crédit et opportunisme vis-à-vis du change et de l'or.
« Jour de la libération » : trois ondes de choc
L'introduction de droits de douane généralisés génère des tensions économiques via trois canaux principaux :
- Augmentation des prix : les droits de douane sont inflationnistes par nature, en particulier pour les secteurs à forte intensité d'importations. Les coûts des intrants augmentent dans la pharmacie, l’automobile et la métallurgie, ce qui dégrade la rentabilité des entreprises et le pouvoir d'achat des ménages.
- Montée des incertitudes : le manque de visibilité et une politique erratique bloquent les décisions d'investissement. Les entreprises retardent leurs investissements, les stocks sont décalés et les chaînes logistiques mondiales s’en trouvent perturbées.
- Resserrement des conditions financières : alors que la baisse des marchés se traduit par une croissance plus faible et des bénéfices plus volatils, les conditions financières se resserrent. On constate un élargissement des spreads de crédit, une pentification des courbes de taux et une montée de l’aversion au risque sur les marchés des actions et des devises.
Ensemble, ces forces érodent la confiance et renforcent la probabilité d'un ralentissement économique aux États-Unis – les craintes d'une « Trumpcession » ont encore progressé par rapport au mois dernier.
La Tax Americana en action
Le comportement erratique de l'administration Trump dans sa politique d’imposition de nouveaux droits de douane a pris les marchés par surprise, suscitant de nombreuses questions restées sans réponse à ce jour. Nous avons néanmoins identifié plusieurs domaines à surveiller de près dans la période décisive qui s’annonce :
- Détérioration de la croissance américaine : notre scénario de base prévoit un net ralentissement aux États-Unis, le PIB passant de 2,8 % en 2024 à 1,4 % en 2025 et 0,4 % en 2026 sous l'effet conjugué des droits de douane, de la contraction du budget et de la faiblesse de l'investissement privé. Même s’il demeure résilient, le marché du travail commence à faiblir. La consommation ralentit et les indicateurs avancés tels que les enquêtes de conjoncture de l'ISM ou le sentiment des consommateurs sont en chute libre. L’impact des droits de douane est particulièrement visible dans les secteurs liés au commerce mondial ou sensibles à la consommation, qui subissent désormais une compression des marges.
- Menace sur les bénéfices : les prévisions de bénéfices pour 2025 sont revues à la baisse, en particulier dans les secteurs de la technologie et de l'industrie. Aux États-Unis, la sélection de titres sera primordiale, car la compression des marges induite par les droits de douane et l’incertitude entourant les perspectives budgétaires pèsent sur la confiance des entreprises. Parallèlement, les investisseurs redoutent un recul des estimations de bénéfices, notamment dans les secteurs les plus exposés aux coûts d'importation et à la volatilité de la chaîne logistique.
- Fragilité du crédit : les spreads des obligations à haut rendement se sont élargis, tant aux États-Unis qu'en Europe. Nous continuons de considérer ce segment comme la partie la plus fragile du marché obligataire. Les fondamentaux devraient se détériorer significativement, l’impact de la politique commerciale sur le sentiment risquant d’attiser les tensions et de déclencher des événements de crédit. Aux États-Unis, une grande partie des émetteurs à haut rendement appartenant au secteur énergétique pourrait être en difficulté, car le cours du pétrole a fortement baissé. Nous conservons un positionnement prudent et sous-pondérons le haut rendement en Europe et aux États-Unis, ainsi que la dette émergente. À l'inverse, les forces désinflationnistes à long terme justifient une position de duration longue sur les Bunds, dont le statut de valeur refuge n’est pas remis en cause.
- Fragmentation géopolitique : le fossé entre les États-Unis et la Chine s'est indéniablement creusé. Les mesures de rétorsion de la Chine, notamment les restrictions visant l'exportation de terres rares et les licences d'importation, mettent en évidence les risques systémiques d’une guerre commerciale prolongée. Le Canada a également adopté des contre-mesures fermes, ce qui a exacerbé les tensions. Ces conflits aggravent l'incertitude et entravent les flux commerciaux, affectant en particulier les écosystèmes manufacturiers intégrés d'Amérique du Nord et d'Asie.
- Matières premières et devises : les métaux industriels et le pétrole ont chuté sur fond de faiblesse de la demande, tandis que l'or reste une cible de choix pour les achats liés à la fuite vers la qualité. Le marché des changes offre des opportunités, notamment sur le yen (JPY). Selon nous, la devise japonaise demeure un instrument de couverture de portefeuille essentiel dans un contexte de volatilité croissante.
Dislocation de marché et opportunités
La Tax Americana a fait émerger un monde où l'imprévisibilité de la politique économique se conjugue à un resserrement des conditions financières et à une importante fragmentation géopolitique, tout en imposant des coûts plus élevés aux ménages et aux entreprises américains. Dans ce contexte, nous adoptons une approche rigoureuse et prospective. Face à la perspective d’une récession et à la hausse des primes de risque, nous restons défensifs en ciblant l’exposition à la duration, les actions défensives et les actifs alternatifs. Les expositions tactiques aux devises et aux matières premières offrent la flexibilité nécessaire pour affronter ce contexte volatil. Tandis que les marchés digèrent ce virage protectionniste, une gestion de portefeuille active et agile s’impose : nous abordons donc le deuxième trimestre 2025 avec prudence, en nous concentrant sur les fondamentaux. Notre construction de portefeuille repose principalement sur les thèmes suivants :
- Soutien budgétaire européen : alors que les droits de douane et l'incertitude budgétaire déstabilisent les États-Unis, l'Europe fait le choix d’une expansion budgétaire proactive. Le plan d'infrastructures de 500 milliards d'euros présenté par l'Allemagne et la hausse des budgets de défense dans l'ensemble de l'UE sont autant d’atouts susceptibles d’aider la région à encaisser le choc. Ces initiatives soutiennent les prévisions de bénéfices – en particulier pour les moyennes capitalisations industrielles et les valeurs liées à la défense – et pourraient permettre aux actifs européens de continuer à surperformer leurs homologues américains en 2025.
- Duration souveraine et divergence des politiques : les marchés obligataires européens « core » offrent des opportunités attrayantes en matière de duration. Alors que l’inflation recule et que la BCE devrait encore assouplir sa politique, nous ciblons les emprunts d’État « core ». En particulier, notre position longue sur les Bunds demeure l’un des piliers de notre allocation, en dépit d’une certaine volatilité à court terme. Aux États-Unis, les craintes liées à la croissance dominent et les marchés anticipent désormais plusieurs baisses de taux, mais nous préférons rester prudents.
- Positionnement défensif sur les actions : nous continuons de privilégier les secteurs qui bénéficient d'un pouvoir de fixation des prix et de dividendes stables, à savoir la santé aux États-Unis, les services aux collectivités et la consommation courante en Europe. Ces secteurs ont bien résisté dans la débâcle des marchés boursiers. Malgré la réduction de notre exposition globale aux actions, nous restons neutres sur les marchés européens hors zone euro, en raison des révisions des bénéfices.
- Devises : en dépit d’un risque de correction à court terme, nous conservons une approche positive vis-à-vis des investissements thématiques à long terme tels que la transition climatique, la robotique et la biotechnologie. En ce qui concerne les devises, nous maintenons des positions tactiques surpondérées sur le yen, qui a fait preuve de résilience et demeure soutenu par les fondamentaux et la divergence des politiques.
- Matières premières – L'or comme couverture : l'or est devenu une couverture fiable dans un contexte d'instabilité géopolitique et de pressions stagflationnistes croissantes. Il s’agit pour nous d’une allocation structurelle dans le contexte actuel.
- Stratégies alternatives et « market-neutral » : compte tenu de la volatilité persistante et des risques asymétriques du marché, nous maintenons notre allocation aux stratégies alternatives et « market-neutral ». Ces approches jouent un rôle d’amortisseur au sein du portefeuille et complètent les expositions traditionnelles et directionnelles.
Candriam House View & Convictions
Légende
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Opinion très positive
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Opinion positive
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Neutre
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Opinion negative
- Opinion très négative
- Aucun changement
- Exposition réduite
- Exposition accrue
Positionnement (vue actuelle) | Variation | |
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Action mondiales |
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États-Unis |
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Zone euro |
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Euopre hors zone euro |
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Japon |
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Marchés émergents |
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Obligations |
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Europe |
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Europe "core" |
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Europe périphérique |
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IG Europe |
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HY Europe |
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États-Unis |
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États-Unis |
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IG États-Unis |
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HY États-Unis |
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Marchés émergents |
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Dette publique en devise forte |
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Dette publique en devise locale |
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Devises |
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EUR |
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USD |
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GBP |
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AUD/CAD/NOK |
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JPY |
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